[CORRECTEUR] Candidature de Lulu'

Diane est immobile sur une chaise longue, là bas, sous l’ombre du grand pin. La brise méditerranéenne, légère , insidieuse, s’évertue à soulever sa jupe de mousselines retenue par un livre dont le seul but semble être de faire obstacle à cet intrusion. Les yeux demeurent obstinément clos. Jérôme le sait. Il ne s'agit nullement d’une certitude objective, la distance qui les sépare est trop grande pour cela, mais d’une certitude du cœur. Donc indiscutablement plus sûr ! Il reprend son souffle, se dandine d’un pied sur l’autre, indécis. Une brusque sensation de vide surgit du fond de ses entrailles. Vive, mais fugace.

« Elle est toujours en train de méditer, ou de réfléchir, de s’analyser... Toujours, non ; mais de plus en plus souvent, c’est sûre !... La plupart de mes copains se foutraient de moi s’ils savaient que je la trouve génial. La plus géniale des mère... Peut-être que je suis vraiment débile ! Même ce trouillard de Ludo me l’a asséné le mois dernier, en reculant de trois pas de peur que je lui fasse péter son appareil dentaire ! Pour qu’il le pense, et surtout qu’il ose le dire... C’est vrai... C’est quoi une mère super ? Celle de Manu, qui le laisse passer cinq heures d’affilées à l’ordinateur, parce qu’elle est occupée à roucouler avec son amant ? Ou celle de Mireille, qui rentre à minuit sans que personne ne sache ce qu’elle a fabriqué depuis le matin aux aurores !... »

Le bouillonnement des quinze ans voudrait que son corps bondit vers elle, embrasse les joues roses qui embaument le jasmin et se presse câlinement contre la poitrine ferme, tendre et rassurante. Mais quelque chose qui n’a pas encore de nom, qui est obscurément tapit au fond de lui, respecte déjà l’autre. La poussée de tristesse c’est dissout aussi soudainement qu’elle était apparue. « Alors quoi ? Je ne suis pas ici pour aller pleurnicher dans les jupes de maman ! Pas question de saigner Ludo et sa mère poule ! Elle ne veut pas assister à l’exploit que je prépare ? Tan pis pour elle... »

Depuis le début des appels, le cœur de Diane bat plus vite. Un intense besoin de goûter les dernières secondes de méditation la retient de s’ouvrir entièrement à la vie qui l’environne. Difficile de définir avec limpidité cet état de transition délicieusement éphémère. « Ici et maintenant » ...Oui, sans doute est-ce l’expression qui convient le mieux... Pourquoi chercher d'ailleurs à définir, analyser, poser des mots sur des bonheurs simplement présent. Qui sont des cadeaux de la Vie... Toujours le jeu de l’intellect, de cette sourde machine qui lézarde les joies en voulant à toutes forces les nommer !...La paix, le silence du mental, la jouissance de l’instant, la gratitude de l’âme pour cette seconde douce et parfumée, qui entremêle la voix d’un enfant bien aimé aux senteurs tièdes des orchidées, au chant du mistral et des cigales. Cette seconde qui s’est dissoute à jamais, qui ne fait plus partie de la réalité de la vie. Aussi lointaine et illusoire maintenant, que si elle n’avait jamais vu le jour...

Les mains, posées de chaque côté du livre, paumes tournées vers le ciel comme pour mieux concentrer dans la conscience de leurs cellules le don cosmique bienfaisant et chaleureux de vie, se crispent discrètement. Les yeux s’ouvrent spontanément, cherchent, maladroits, éblouis, la source de l’appel. Jérôme est beau ! Il est son fils, il a quinze ans, mais, objectivement, il est beau ! Son visage qui pouvait, avec honnêteté, être qualifié d’ingrat il y a peu d’années, s’est métamorphosé en quelques mois, adoucissant la rudeté du regard et la courbe de la mâchoire inférieure. Une poussée d’acné, qui avait massacré son quatorzième anniversaire au point de lui faire annuler subitement neufs invitations, s’est évanoui sans traitement, à la grande stupéfaction de son médecin de paire ...